"bien que je puisse dissimuler mon regard glacé, mon regard fixe, bien que vous puissiez me serrer la main et sentir une chaire qui étreint la vôtre, et peut-être même considérer que nous avons des styles de vie comparable, je ne suis tout simplement pas là. Signifier quelque chose: voilà ce qui est difficile pour moi, à quelque niveau que ce soit. Je suis un moi-même préfabriqué, je suis une aberration. Un être non-contingent. Ma personnalité est une ébauche informe, mon opiniâtre absence profonde de coeur. Il y a longtemps que la conscience, la pitié, l’espoir m’ont quitté (à Harvard, probablement), s’ils ont jamais existé. Je n’ai plus de barrière à sauter. Tout ce qui me relie à la folie, à l’incontrôlable, au vice, au mal, toutes les violences commises dans la plus totale indifférence, tout cela est à présent loin derrière moi. Il me reste une seule, une sombre vérité: personne n’est à l’abri de rien, et rien n’est racheté. Je suis innocent, pourtant. Chaque type d’être humain doit bien avoir une certaine valeur. Le mal, est-ce une chose que l’on est ? Ou bien est-ce une chose que l’on fait ? Ma douleur est constante, aiguë, je n’ai plus d’espoir en un monde meilleur. En réalité, je veux que ma douleur rejaillisse sur les autres. Je veux que personne n’y échappe. Mais une fois ceci avoué – ce que j’ai fait des milliers de fois, presque à chaque crime –, une fois face à face avec cette vérité, aucune rédemption pour moi –. Aucune connaissance plus profonde de moi-même, aucune compréhension nouvelle à tirer de cet aveu. Je n’ai aucune raison de vous raconter tout cela. Cette confession ne veut rien dire..."
American Psycho - Bret Easton Ellis