AUTO-DESTRUCTION
En cette fin de millénaire, le scénario-catastrophe des dinosaures plaît aux hommes, lesquels adorent se faire peur. Les XXe siècle lègue au suivant, pour qu’il la confirme ou la rejette, l’hypothèse de l’astéroïde-tueur imaginée en 1979 par Luis Alvarez.
Les totems solitaire de l’île de Pâques rappellent, eux, que la chute est toujours possible. Les Pascuens, comme les Mayas, s’autodétruisent en détruisant leur forêts. On a dit que les îliens ont été massacrés, déportés par les Péruviens. Exact. Mais avant, l’île avait succombé à un désastre écologique, micro-métaphore d’une fin possible de l’humanité.
Climat tempéré, sol volcanique et fertile, tout sourit, mais regardez cette île : pas un arbre. Quand l’explorateur hollandais Roggeven découvre l’île, le matin de Pâque 1722, c’est déjà une terre aride, couverte d’herbes folles. Faune : insectes et quelques poules. Pas un oiseau, ni un lézard. Sur ce terrain vague, deux milliers d’indigènes, des Polynésiens. Déprimés. Sans bois, pas de chauffage. Les îliens pèlent de froid. Pas de bateau non plus. Piégé dans leu île, ils ne peuvent ni pêcher ni aller faire les courses dans d’autres île comme l’humanité sur la Terre. Contraste sidérant, 200 monstrueuses statues de pierre montent la garde le long de la côte. 700 autres gisent inachevées à l’intérieur de l’île. Poids : entre 80 et 270 tonnes.
Durant les années quatre-vingt, des bandes de chercheurs se lâchent sur l’île pour percer son mystère : archéologues, paléontologues et analyseurs de pollen. Et la véritable histoire se dévoile.
An 400.
Quand ils débarquent des Marquises, ces explorateurs polynésiens découvrent une île paradisiaque. De forêts de palmier, de toromiro, de hauhau. Des millions d’albatros et de pétrels, des milliers de hérons, de perroquets et de rats comestibles. Les types s’installent, se goinfrent et se multiplient, la population monte à 20 000 habitants. Ils se lancent dans le statuaires et lancent d’énorme pirogues à la chasse au dauphin, leur mets principal.
An 800.
Ca se dégrade déjà. Palmiers et toromiro se raréfient. On coupe trop d’arbres, et les rats bouffent les graines. Mais dauphin et oiseaux de mer semblent inépuisables.
An 1200-1400.
C’est la grande époque des statues géantes. Cordages et tapis de rondins pour haler les blocs, les statues de plus en plus grosses, les chantiers achèvent la forêt.
1400.
L’île est chauve. Sans bois, pas de pirogue et sans pirogue, pas de dauphin. L’érosion râcle les sols et les rendements des récoltes baissent. La population diminue. Dans un ultime effort, ils lèvent encore des totems pendant un siècle, puis laissent tomber, vers 1500. Ils rôtissent les derniers oiseaux de mer sur les derniers buissons. Puis ils deviennent cannibales. Leur pire insulte : “ J’ai la chair de ta mère entre mes dents !” Le chaos remplace le gouvernement centralisé, les guerriers arrachent le pouvoir aux chefs héréditaires.
1722.
Quand les Hollandais arrivent, il ne reste que les survivants de l’holocauste écologique. Dans un paroxysme d’auto-destruction, les clans rivaux abattent les statues. Des questions demeurent :
Pourquoi les Pascuens ne se sont-ils pas rendu compte de ce qu’ils faisaient ?
Pourquoi n’ont-ils pas arrêté avant qu’il soit trop tard ?
À quoi pensaient-ils en coupant le dernier palmier ?
Léon MERCADET
tiré de l’Almanach 2001 d’Actuel.
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